LE DROIT FRANÇAIS DE L’EXPERTISE En matière pénale par Elisa Chazel,, Juriste, Elève-avocat Haute Ecole des Avocats Conseils de la Cour d’Appel de Versailles
LE DROIT FRANÇAIS DE L’EXPERTISE
En matière pénale
PLAN :
I. L’expertise elle même
II. La décision d’expertise
III. L’expert
IV. La mission de l’expert
L’expertise a pris une place très importante dans le procès pénal moderne.
I. L’expertise elle même
Principe : l’expertise est facultative.
Autrement dit, la juridiction apprécie souverainement si elle doit ou non recourir d’office à une mesure d’expertise, ou donner une suite favorable à une demande, quelle que soit la partie qui l’invite à y procéder, cette solution valant aussi pour le complément à une expertise déjà ordonnée.
La faculté qu’ont les juges d’ordonner une expertise (expertise complémentaire ou contre-expertise) s’exerce en vertu de leur pouvoir souverain, et non pas d’un pouvoir discrétionnaire. C’est à dire que les juges sont dans l’obligation de motiver leur décision.
Cependant, il existe des cas d’expertise obligatoire :
L’expertise est obligatoire en cas de non-lieux à raison d’une cause d’irresponsabilité.
Article 167-1 du Code de procédure pénale (CPP) ;
L’expertise est obligatoire préalablement au jugement de certaines infractions.
(Il s’agit d’une expertise médicale. Articles 706-47 et 706-47-1 du CPP)
P.ex. : meurtre ou assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie.
(Cette expertise peut être ordonnée dès l’enquête, par le procureur de la République.) ;
L’expertise est obligatoire préalablement à la poursuite, l’instruction et au jugement des infractions commises par des majeurs protégés.
Article 706-115 du CPP ;
L’expertise est obligatoire pour certaines mesures prises par le juge de l’application des peines ou le tribunal de l’application des peines.
(Il s’agit d’une expertise psychiatrique. Articles 712-21, 720-1-1 al. 2, 720-4 al. 4, 723-31, 763-3, 763-4 et 763-6 al. 3 du CPP)
P.ex. : en matière de suivi socio-judiciaire ;
L’expertise est obligatoire en matière de fraude et de falsifications.
(Article 215-9 du code de la consommation) ;
L’expertise est obligatoire en matière de rétention de sûreté, de placement sous surveillance de sûreté et de mesures de sûreté en cas d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
II. La décision d’expertise
Dans les cas où l’expertise est facultative, en principe le choix du juge est libre.
Cependant, cette liberté ce trouve doublement limité : d’une part par l’administration de la preuve (on ne doit recourir qu’à des mesures légalement admissibles) et d’autre part par l’impossibilité pour le juge de déléguer sa mission par le biais de l’expertise.
Le ministère public a la possibilité de recourir au cours de l’enquête préliminaire, à toute personne qualifiée, en vue de procéder à des constations et examens techniques ou scientifiques.
(La mission confiée au technicien peut recouper exactement celle qu’un juge d’instruction confierait à un expert…)
Si le juge d’instruction prend seul l’initiative de la décision, il le fait au moyen d’une ordonnance rendue en application de l’article 81 du CPP (« mesures utiles »).
La chambre de l’instruction dispose des mêmes pouvoirs que le juge de l’instruction lorsqu’elle :
Statue sur l’appel d’une ordonnance par laquelle il n’a pas été fait droit à une demande d’expertise, de nouvelle expertise ou de contre expertise ;
Est évoquée sur saisine directe d’une partie privée d’un acte ;
Est saisie, en ordonnant un supplément d’information, du règlement de la procédure, correctionnelle ou criminelle.
S’ils l’estiment nécessaire, le tribunal correctionnel, le tribunal de police, la juridiction de proximité, la cour d’appel en matière correctionnelle et la commission de révision des condamnations pénales peuvent aussi ordonner une expertise.
Lorsqu’il exerce les fonctions de juge d’instruction, le juge des enfants dispose des mêmes pouvoirs que le juge d’instruction en matière d’expertise.
Le recours à l’expertise est également possible devant la cour d’assise (article 283 du CPP).
Enfin, les juridictions d’application des peines peuvent aussi faire procéder à des mesures d’expertises (voir entre autres les cas obligatoires d’expertises).
La demande d’expertise peut aussi biensur émaner des parties.
Ces dernières doivent en tant que de besoin préciser les questions qu’elles voudraient voir poser à l’expert.
La décision – peu importe qui l’a prends – doit être formulée sur un support écrit.
Hors le cas où l’expertise est ordonnée par le juge d’instruction lui-même, la décision qui ordonne une expertise doit désigner un magistrat chargé de contrôler son déroulement.
Par application de l’article 159 du CPP, le juge d’instruction, comme la juridiction qui recourt à une expertise, doivent désigner eux-mêmes le ou les experts, et ne peuvent déléguer ce pouvoir.
De plus, un expert régulièrement nommé ne peut pas désigner lui-même un autre expert.
Il résulte de l’article 158 du CPP que la décision qui ordonne l’expertise doit en préciser la mission, et que cette mission ne peut avoir pour objet que l’examen de questions d’ordre technique.
Le délai d’exécution de l’expertise doit être indiqué dans la décision qui l’ordonne (article 161 du CPP).
Cependant, en pratique, l’absence d’indication du délai ou son non-respect n’entraîne pas automatiquement la nullité des opérations d’expertise.
III. L’expert
En principe, un seul expert suffit (article 159 du CPP).
Cependant, si les circonstances le justifient (difficulté des opérations d’expertises elles-mêmes, des faits, voire du retentissement de l’affaire), il existe la possibilité de désigner plusieurs experts, sans limitation du nombre.
Dans certains domaines spécifiques, la pluralité d’experts et même obligatoire.
Le domaine de l’aménagement des condamnations (deux experts psychiatriques, article 712-21 du CPP) ;
Le domaine des mesures d’aménagement de peine pour un condamné à la réclusion criminelle à perpétuité (collège de trois experts médicaux, article 720-4 du CPP) ; etc.
Par principe, les experts sont choisis parmi les personnes physiques ou morales qui figurent sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou sur une des listes dressées par les cours d’appel (article 157 du CPP).
Ce qui permet aux parties le respect d’un certain nombre de principes essentiels au regard du procès : impartialité de l’expert, compétence, déontologie.
Cependant, d’après le même article 157 du CPP, les juridictions (et seulement elles) et à titre exceptionnel, peuvent choisir des experts ne figurant sur aucune de ces listes, en procédant à une décision motivée.
La liberté de l’autorité de décision est totale quant à la personne de l’expert choisie parmi d’autres, qui est la plupart du temps une personne physique mais qui peut aussi être, en application des articles 157 et 157-1 du CPP, une personne morale.
A cet égard, la loi impose que dans le cas où l’expert choisit est une personne morale, son représentant légal soumette à l’agrément de la juridiction le nom de la ou des personnes physiques qui effectueront réellement l’expertise (pas de conditions de formes).
Une juridiction française peut désigner un expert de nationalité étrangère si ce dernier est inscrit sur une liste ou bien en faisant application de la procédure relative au choix des experts hors listes (motivation et prestation de serment).
La prestation de serment est une obligation pour l’expert, quel que soit le statut de ce dernier, mais elle intervient à différents moments et ses effets varient selon l’expert.
Dans tous les cas, le serment est prêté par le représentant de la personne morale lorsque c’est elle qui est nommée.
Le serment doit être prêté par les experts non inscrits et qui ne bénéficient pas de l’honorariat, avant la mission.
IV. La mission de l’expert
L’article 158 du CPP impose à la mission un caractère exclusivement technique.
Outre ce caractère, il appartient donc à l’autorité de décision de définir seule la mission qu’elle entend confier à l’expert.
Cependant la jurisprudence a dégagé des limites.
Les experts ne peuvent pas accomplir des actes d’instruction ou de poursuite ;
Les experts ne peuvent pas réaliser des actes dépassant les termes de leurs missions mais aussi pouvant être assimilés à des actes que la loi confie au seul juge ;
Les experts ne sont pas là pour formuler un avis juridique.
par Elisa CHAZEL,juriste, Master 2 recherche Droit de l’Union Européenne, Paris Assas,
Master 1 Droit international et européen - parcours contentieux, Paris Nanterre,
Elève-avocat au Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats de Versailles
Haute Ecole des Avocats Conseils de la Cour d’Appel de Versailles (vom 17.2.2010)