Patenttrolling en France et France Brevets SAS
Quel avenir pour l'Europe ?
Paten troll
L’exception française
Avec France Brevets SAS, l’état français s’est doté d’un instrument unique -et menaçant – en Europe
Par Nils Bayer, avocat à la cour de Paris et de Berlin
Vue d’Outre-rhin, la création d’une entité commerciale sous forme de SAS possédée par 50 % directement par l’état et 50 % par la caisse des dépôts et consignations, semble à priori suspecte. La France a copié l’exemple chinois, comme le remarque le rapport de l’ECIPE . Mais la Chine ne fait pas partie du marché commun. Il lui est reproché d’avoir détruit l’industrie solaire européenne par une intervention financière étatique qui avait largement dépassé les moyens des entreprises européennes. Il apparait que la création de Brevets France SAS constitue une nouvelle force européenne au dessus de tout avec des moyens comparables à ceux investis par la Chine pour favoriser son commerce extérieur.
Ses missions sont fixées par la convention du 2 septembre 2010 publiée au Journal Officiel sous le numéro 0205 du 4 septembre 2010 page 16153 en tant qu’acquisition et regroupement des licences de brevets. C’est France Brevets elle-même qui acquiert les droits et c’est France Brevets elle-même qui deviendra par conséquent partie aux litiges, judiciaires et extra-judiciaires.
Les indices sont alarmants : C’est bien une entité d’un état membre de l’UE qui intervient. Ce nouveau fonds né le 9 juin 2011 a déjà reçu €100 millions en ressources et ce n’est plus le créateur d’une idée incorporée qui défend son invention selon ce modèle mais bien l’état français agissant sous la forme d’une SAS. Cette force peut en effet profiter à tous ceux qui n’auraient peut-être pas les moyens d’agir autrement, vu que les procédures coûtent chers. Mais il y a un revers de la médaille. France Brevets est une force de frappe qui profite aux uns, au détriment des autres. Quel petit inventeur en Europe, quelle start-up seraient encore prêts à défendre son invention personnelle face à ce géant qui a tous les moyens de financer toutes les procédures imaginables, s’il était de l’avis que l’invention ressemble trop à celle d‘un de ses co-contractants ?
Résister à la tentation du « patent trolling » en France et en Europe
La tentative de produire des revenus très importants pour réduire la dette publique ne sera-t-elle pas trop grande ? France Brevet ne succombera-t-il pas au patent trolling et à l’abus de droit, surtout en cette phase de récession ? Ne faudrait-il pas établir des forces de défense du même poids partout en Europe, forces auxquelles les victimes du trolling pourraient s’associer pour jouer à armes égales devant la justice française et ailleurs ? Rien ne garantit que ce modèle français produira des conditions favorables à l’innovation. Les autres pays au sein de l’Union Européenne ne disposent pas d’une telle force de frappe et les inventeurs pourraient être intimidés. Ils sauront que France Brevets pourra financer tous les litiges imaginables, mandater les meilleurs et les plus chers des spécialistes et obtenir gain de cause, du fait de cette inégalité de moyens.
Même si France Brevets ne se limite pas à défendre les intérêts des entités publiques et privées françaises la protection des inventions «Made in France» est un but officiellement proclamé. A moyen terme il faudra alors un correctif sur le plan, soit national, soit européen. Actuellement France Brevets a un quasi monopole du patent trolling en France et en Europe. Rien n’interdit aux autres membres de l’Union Européenne de suivre ce modèle et d’établir leurs propres structures nationales intervenantes pour protéger les brevets des inventions faites sur le territoire national. L’égalité de tous devant la loi que l’article 2 de la Constitution de la V ème République postule pourra ainsi être rétablie.
Mais comme le remarque le rapport de l’ECIPE déjà cité, « Créer des patent pool souverains, est une autre forme de protectionnisme. L’implication de l’Etat dans le système des brevets a tendance à empirer le climat de l’innovation dans lequel les problèmes sont déjà aigües. Davantage de politique ne constitue pas un remède, mais transforme les problème politiques, déjà existants, en problème géopolitiques, créant ainsi des dommages permanents. »
Mais qui payerait l’éventuelle condamnation de France Brevets ?
Mais nous n’en sommes pas encore là. Les premières années constitueront une phase (passagère) pendant laquelle le monopole français interviendra et l’inégalité des justiciables devant la loi sera certaine. Il est certain que France Brevets ne pourra pas défendre les deux parties. Une entreprise qui choisit de devenir cliente de France Brevets a le droit de réclamer la défense exclusive des ses intérêts au détriment des intérêts de ses adversaires.
France Brevets ne pourra pas rester neutre. Toute possibilité de conflit d’intérêts doit être exclue. Elle devra veiller à éviter l’engagement de sa responsabilité. Face aux 100 millions d’euros du contribuable français et à une structure bien adaptée à la tâche, les adversaires ne tarderont pas à poser la question de la légalité de cette entreprise. Il est peu probable que des procédures QPC sur la constitutionnalité de la loi à la source de ce fonds – la loi du 9 mars 2010 – seront engagées. La loi en elle-même semble être tout à fait légale et ne constitue que le mandat à la convention qui en résulte, mais la question de l’abus de position dominante se posera sur le plan national et communautaire.
L’article L.420-2 du code de commerce sanctionne les cas où la position dominante s’accompagne d’un abus. L’ancien article 82 CE devenu le nouvel article 102 TFUE vise la situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause. L’abus est entre-autre constitué par un comportement de nature à influencer la structure du marché. S‘imaginer voir France Brevets condamné à une peine de centaines de millions d’euros pour abus de position dominante pourra avoir des enjeux cruciaux sur la politique nationale. Si le contribuable français finance ce fonds d’investissement de l’état et voit l’argent pris de son compte pour payer une peine pour ce comportement illégal, les extrêmes en tireront leur profit. Bienvenu dans l’Europe du futur.
La crise financière a, entre autre, soulevé la question de savoir si le contrôle, ou même une intervention, étatique en tant qu’entrepreneur (financier) pouvait faire obstacle aux abus. La réalité en Allemagne est que les banques publiques des Länder ont jeté plus d’argent de leurs clients par la fenêtre dans de douteux investissements que les banques privées. La règle d’or d’abstention de l‘État dans le secteur commercial ne semble pas toujours être respectée. Les mauvais exemples sont nombreux : Ukraine, Russie, Chine … et l’inégalité que cette politique crée. Quelles inventions importantes ces pays ont-ils créés les dernières années?
Publié le 24/09/2014 au Nouvel Economiste en ligne