Droit du travail francais: Nouveautés en 2008: L’assouplissement du régime des heures supplémentaires en France par la loi du 20 août 2008 du 12 novembre 2008 Nouveautés en droit du travail francais:
12 novembre 2008
L’assouplissement du régime des heures supplémentaires en France par la loi du 20 août 2008 par Bastien Lignereux, participant au programme Master droit économique, IEP Paris
L’assouplissement du régime des heures supplémentaires
par la loi du 20 août 2008
Alors que la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, modifiant entre autres le régime fiscal des heures supplémentaires, n’a pas encore fêté son premier anniversaire, un nouveau texte, promulgué le 20 août 2008, vient à nouveau modifier considérablement le régime des heures supplémentaires. Ainsi, alors que nous fêtons l’anniversaire – décennal cette fois – de l’ouvrage si contagieux du Doyen Carbonnier, Droit et passion du Droit sous la Ve République, son diagnostic de « passion du droit » semble toujours bien actuel. Dès lors, quelle énième rénovation cette loi apporte t-elle ?
Outre les modifications que comporte sa première partie sur la « Démocratie sociale », la loi n°2008-789 du 20 août 2008 apporte en sa seconde partie un assouplissement significatif du régime des heures supplémentaires – assouplissement guidé par la volonté de développer la négociation d'entreprise en matière d'heures supplémentaires. Certes, deux éléments essentiels ne sont pas modifiés : la majoration du salaire pour heures supplémentaires et la durée légale du travail, qui reste fixée à 35 heures hebdomadaires. Toutefois, deux points non moins significatifs en pratique sont retouchés : le contingent annuel d’heures supplémentaires (I), et les dispositions relatives au repos compensateur (II).
I. Le contingent annuel d’heures supplémentaires.
La nouvelle loi assouplit d’une part les modalités de fixation du contingent annuel (A), et d’autre part les modalités de son accomplissement ainsi que de son dépassement (B).
A. Un assouplissement des règles de fixation du contingent annuel.
Rappelons que ce contingent fixe le nombre d'heures supplémentaires que peut faire réaliser un employeur à ses salariés au cours d'une année.
Alors que ce contingent était jusqu’alors déterminé par accord de branche ou, à défaut, par décret (ancien article L212-6 du Code du Travail, issu de l’ordonnance du 16 janvier 1982), la loi d’août 2008 dispose que désormais, il pourra être défini « par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. » (nouvel article L3121-11, al. 1er CT issu de l’article 18-I de la loi du 20 août 2008). La priorité est ainsi donnée à la négociation à l’intérieur de l’entreprise plutôt qu’à l’accord de branche. Comme l’affirme Jean Frédéric Poisson dans son rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée Nationale, « priorité (est) ainsi donnée à une négociation au plus près du terrain ».
C’est seulement à défaut d’accord collectif (qu’il soit interne à l’entreprise ou commun à la branche) que le contingent annuel sera déterminé par décret (nouvel article L3121-11, al. 3 CT). Mais même dans ce cas, une concertation sera effectuée ex post : « A défaut de détermination du contingent annuel d'heures supplémentaires par voie conventionnelle, les modalités de son utilisation et de son éventuel dépassement donnent lieu au moins une fois par an à une consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. » (nouvel article L3121-11, al. 4 CT).
De manière similaire, le dépassement du contingent annuel peut désormais être fixé conventionnellement même au niveau de l’entreprise (nouvel article L3121-11, al. 1er CT issu de l’article 18-I de la loi du 20 août 2008 : « Une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel »).
Ainsi, les entreprises peuvent désormais fixer elles-mêmes le contingent annuel d’heures supplémentaires ainsi que son éventuel dépassement ; il suffit pour cela qu’un accord soit signé avec des organisations syndicales représentant au moins 30 % des salariés. Par ce biais, la nouvelle loi accorde sans conteste une place plus importante à la liberté contractuelle et à la micro-négociation dans l’organisation du temps de travail. Il conviendra toutefois de s’interroger sur l’éventualité en pratique d’une fixation unilatérale par l’employeur du contingent annuel, laquelle serait préjudiciable aux salariés.
B. Une facilitation tant de l’accomplissement que du dépassement du contingent annuel.
Dans la situation antérieure, une autorisation administrative émanant de l’inspection du travail était requise pour dépasser le contingent annuel (ancien article L212-7 CT). De surcroît, l’autorisation de l’inspecteur du travail était donnée « après avis, s’ils existent, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ». Les modalités de dépassement du contingent annuel étaient ainsi strictement encadrées.
La loi d’août 2008 apporte sur ce point un assouplissement conséquent, puisqu’elle dispense dorénavant le dépassement de toute autorisation de l’inspecteur du travail. Seul l’avis, s’ils existent, du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, subsiste (nouvel article L3121-11-1, al.2 CT, issu de l’article 18-I de la loi du 20 août 2008 : « Les heures supplémentaires sont accomplies, au-delà du contingent annuel applicable dans l'entreprise, après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe »). Notons que le texte ne précise nullement si cet avis sera impératif ou non. Il se pourrait dès lors que l’employeur ne soit nullement lié par l’avis des instances représentatives des salariés. Il convient ainsi, là encore, de s’interroger sur le caractère potentiellement unilatéral du dépassement du contingent annuel, qui, bien que prévu conventionnellement (voir ci-dessus), serait décidé uniquement par l’employeur et subi par les salariés.
Notons au passage que la loi du 20 août 2008 supprime ainsi le dispositif « d’heures choisies » créé par la loi du 31 mars 2005. Cette loi prévoyait qu’un accord de branche ou d’entreprise pouvait ouvrir la possibilité à un salarié, en accord avec son employeur, d’effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent d’heures supplémentaires, sans autorisation de l’inspecteur du travail et sans mise en œuvre des règles relatives au repos compensateur obligatoire. Comme l’affirme Jean Frédéric Poisson, « compte tenu du nouveau régime du contingent d’heures supplémentaires, le projet de loi procède à la suppression du dispositif d’heures choisies. ».
De même, quoique dans une moindre de mesure, l’accomplissement des heures supplémentaires dans le cadre du contingent annuel est facilité. Auparavant, les heures supplémentaires dans le cadre du contingent annuel ne pouvaient être effectuées que « après information de l’inspecteur du travail et s’ils existent, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel » (ancien article L212-6 CT, issu de l’ordonnance du 16 janvier 1982).
La nouvelle loi fait disparaître l’obligation d’information de l’inspection du travail, puisqu’elle dispose dorénavant que « les heures supplémentaires sont accomplies, dans la limite du contingent annuel applicable dans l'entreprise, après information du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe. » (nouvel article L3121-11-1, al.1er CT, issu de l’article 18-I de la loi du 20 août 2008).
C’est donc à un assouplissement conséquent des règles régissant le contingent annuel d’heures supplémentaires que l’on assiste, faisant d’une part une place plus large à la négociation collective dans sa fixation, et facilitant d’autre part tant son accomplissement que son dépassement, en ôtant certains verrous « bureaucratiques » considérés certainement par les auteurs de la loi comme autant de freins à la liberté d’entreprendre.
Outre les règles relatives au contingent annuel d’heures supplémentaires, celles concernant le repos compensateur sont également assouplies.
II. Le repos compensateur.
Si les règles relatives au repos compensateur équivalent ne sont pas modifiées par la loi du 20 août 2008, le régime du repos compensateur obligatoire, dorénavant nommé « contrepartie obligatoire en repos », est, lui, considérablement réformé. Rappelons brièvement la distinction : alors que le repos compensateur équivalent est une alternative au paiement majoré des heures supplémentaires (qu’elles soient effectuées dans la limite ou au-delà du contingent annuel), la contrepartie obligatoire en repos concerne, elle, une compensation en repos accordée en sus du paiement majoré, ne s’appliquant qu’aux heure supplémentaire effectuées en dépassement du contingent annuel.
L’assouplissement opéré par la loi ne concerne que les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos, et non sa durée. En effet, si les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos peuvent désormais être fixées conventionnellement (A), le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi prévoyant que sa durée le soit également (B).
A. Un assouplissement des règles de fixation des caractéristiques et des conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos.
Dans la situation antérieure, les caractéristiques et les conditions de prise du « repos compensateur obligatoire » étaient fixées par le Code du Travail lui-même, faisant ainsi obstacle à toute détermination conventionnelle. En effet, les anciens articles L3121-28 à L3121-32 CT déterminaient avec précision les « formules » selon lesquelles le repos pouvait être pris, le délai dans lequel il devait être pris, et ses caractéristiques quant au calcul des droits du salarié.
Abrogeant ces dispositions, la loi du 20 août 2008 laisse libre l’entreprise de fixer par négociation collective les caractéristiques et les conditions de prise de la « contrepartie obligatoire en repos ». En effet, le nouvel article L3121-11, al. 1er CT issu de l’article 18-I du texte dispose qu’ « une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe (…) les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel ».
Par ailleurs, la loi du 20 août 2008 supprime, dans les entreprises de plus de 20 salariés, le droit à une contrepartie en repos de 50 % lors de la réalisation, au sein du contingent, d'heures supplémentaires au delà de 41 heures par semaine. A la place, elle ajoute la possibilité, convenue là encore par un accord collectif (qu’il soit interne à l’entreprise ou commun à la branche), d’une contrepartie obligatoire en repos pour des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent : « Cette convention ou cet accord collectif peut également prévoir qu'une contrepartie en repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent. ».
La liberté contractuelle, même au niveau de l’entreprise, s’étend ainsi à la détermination des caractéristiques et des conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos. Au même titre que pour la fixation du contingent annuel, c’est seulement à défaut d’accord collectif que ces caractéristiques et conditions seront déterminées par décret.
En revanche, la liberté contractuelle ne peut s’étendre à la fixation de la durée de la contrepartie obligatoire en repos, une disposition en ce sens présente dans le projet de loi à l’origine ayant été censurée par le Conseil constitutionnel du fait qu’elle reste du domaine de la loi.
B. Une fixation de la durée de la contrepartie obligatoire en repos qui reste du domaine de la loi.
Le projet de loi ajoutait initialement que la durée de la contrepartie obligatoire en repos puisse être également déterminée par accord collectif, au même titre que ses caractéristiques et conditions de prise. Cette disposition n’ayant été modifiée ni par les députés, ni par les sénateurs dans leur lecture, la loi telle qu’adoptée le 23 juillet 2008 la contenait toujours.
Toutefois, saisi simultanément pas soixante députés et pas soixante sénateurs, Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition dans sa décision CC 2008-568 DC du 7 août 2008. En effet, la juridiction constitutionnelle a considéré qu’une telle disposition relève des principes fondamentaux du droit du travail. Or, aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux… du droit du travail ». Les juges constitutionnels ont alors affirmé que, « s'il est loisible au législateur de confier à la convention collective le soin de préciser les modalités concrètes d'application des principes fondamentaux du droit du travail et de prévoir qu'en l'absence de convention collective ces modalités d'application seront déterminées par décret, il lui appartient d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution ; ». Alors que les caractéristiques et conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos ne relève que des « modalités concrètes d’application » et peut donc constitutionnellement être fixée par accord collectif, sa durée, elle, doit être déterminée par la loi.
Dès lors, le Conseil constitutionnel ressuscite les anciennes dispositions quant à la durée de la contrepartie obligatoire en repos, et censure une disposition de la loi déférait qui ne les maintenaient qu’à titre transitoire. Ainsi, le nouvel article L3121-24, al. 2 CT dispose dorénavant que : « La contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent prévu aux deux derniers alinéas de l'article L. 3121-11 du code du travail dans la rédaction issue de la présente loi est fixée à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés. ».
Ainsi, la volonté du législateur de développer la négociation d'entreprise en matière d'heures supplémentaires, si elle a achoppé quant à la fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires ainsi qu’à la détermination des caractéristiques et conditions de prise du « repos compensateur obligatoire », s’est heurtée à la censure du Conseil constitutionnel quant à la durée du « repos compensateur obligatoire », qui reste fixée exclusivement par la loi.
Sources :
- Code du travail ;
- Loi n°2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ;
- Rapport du député Jean Frédéric Poisson fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r0992.asp ;
- Décision CC 2008-568 DC du 7 août 2008 du Conseil constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/2008/decisions-par-date/2008/2008-568-dc/decision-n-2008-568-dc-du-07-aout-2008.17236.html.
par Bastien Lignereux, participant au programme Master droit économique, IEP Paris (vom 12 novembre 2008)