La réforme du droit des obligations en Allemagne (par stud. jur. Bénédicte Doubliez, Licenciée en droit, Berlin-Paris)
28.07.2004
Un résumé à conseiller
La réforme du droit des obligations en Allemagne
Plan :
I – Historique
II – Droit général des troubles d´exécution
A – Le principe en cas d´inexécution du contrat
B – L´impossibilité
C – La mauvaise exécution du contrat
D - Apport de la jurisprudence
III - Droit de la vente
A – Pouvoirs du consommateur
B – Protection du consommateur
IV – Droit de la prescription
V – Droit des contrats d´entreprise
VI – Intégration dans le BGB des lois pour la protection du consommateur
I - Historique
La nécessaire transposition de trois directives européennes a relancé en Allemagne le processus de réforme du droit des obligations.
Entrée en vigueur le 1er janvier 2002, cette réforme codifie certaines institutions jurisprudentielles et facilite le travail avec les textes de lois.
Dans les années 70 déjà s'était posée la question d'une réforme du droit des obligations mais c'est seulement en 1984 qu'une commission fut chargée de l'organiser. Le rapport que celle-ci rendit en 1991 n'eut pas de suite. La réforme fut ré-envisagée quand il fallut transposer trois directives européennes :
- directive 1999/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (à transposer avant le 31.12.2001)
- directive 2000/35/CE sur la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (à transposer avant le 07.08.02)
- directive 2000/31/CE dite sur le commerce électronique (à transposer avant le 16.01.02)
Le gouvernement dut alors se décider entre une réforme ne touchant que les domaines directement concernés par les directives et une réforme plus importante visant l'ensemble du droit des obligations.
Le choix d'une petite réforme risquait de mener à une multiplication de cas particuliers au côté des textes de lois généraux (§§ 433ff.), en matière d'achat de biens de consommation (Verbrauchsgüterkauf) ou de vente commerciale (Handelskauf) par exemple.
Le régime de la vente était par ailleurs si étroitement lié au droit général des obligations qu'il eut été difficile de réformer l'un sans l'autre.
Enfin, le travail jurisprudentiel était déjà considérable, il s'agissait de le codifier, non pas de l'accroître.
L'ancien rapport de 1991 fut donc repris et retravaillé et une commission d'experts proposa un nouveau dossier le 6.06.2001. Soulevant de nombreuses critiques, il donna lieu à différents meetings et à des échanges très riches sur Internet entre autres, puis fut voté au Bundestag le 9.11.2001.
La réforme fut en effet extrêmement critiquée : environ 250 professeurs en Droit formèrent comme un front d'opposition, critiquant l'urgence dans laquelle la réforme se décidait, ne lui laissant pas le temps de " mûrir ".
Le rapport de 1991 fut jugé trop vieux et dépassé pour être pris en considération.
Certains juristes avancèrent que la réforme ne correspondait pas a l'évolution internationale souhaitée du droit des obligations et risquait de compliquer l'harmonisation avec les autres législations en Europe.
D'autres, enfin, mirent en avant le risque pour les avocats de voir leur responsabilité engagée s'ils ne réussissaient pas à remanier les contrats entre l'adoption de la loi (automne 2001) et son entrée en vigueur (1.01.2002).
La réforme du droit des obligations touche en particulier les domaines suivants :
- droit général des troubles d´exécution
- droit de la vente
- droit des contrats d'entreprise
- droit de la prescription
II - Droit général des troubles d´exécution (Leistungsstörungsrecht)
A – Le principe en cas d´inexécution du contrat
L´exécution du contrat prime sur la demande de dommages et intérêts.
Le créancier doit d´abord laisser au débiteur une seconde chance d´exécuter son obligation, en lui imposant un délai, avant de lui demander réparation.
Si l´obligation n´est pas remplie à l´expiration du délai, le créancier peut demander réparation ou résoudre le contrat.
Et alors qu´auparavant le créancier devait choisir entre la résolution du contrat et les dommages-intérêts, il peut désormais demander réparation même après la résolution (§ 325 BGB).
Le créancier peut exercer ces droits de façon cumulative ou alternative. Mais alors que le droit à des dommages-intérêts exige une faute du débiteur, le créancier peut résoudre le contrat sans qu´il y ait faute du débiteur.
B - L´impossibilité
Le concept d'impossibilité, qui exigeait de multiples différenciations et précisions, est simplifié. Désormais,
- il y a impossibilité indépendamment de la présence d'une faute du débiteur dans l'exécution de ses obligations,
- l'impossibilité peut être partielle,
- elle libère le débiteur de son obligation aussi bien en cas d'impossibilité originaire que lorsqu'elle ne survient qu'au cours de l'exécution de l'obligation,
- elle peut être subjective ou objective, les conséquences sont les mêmes.
De plus, le nouveau § 275 II BGB permet, par voie d'exception, d'étendre l'impossibilité aux cas où l'engagement du débiteur (Alt.1) ou les moyens mis en oeuvre pour l'exécution de l'obligation (Alt.2) dépassent largement l'intérêt du créancier.
En principe, si le débiteur est libéré de son obligation, le créancier l´est également de la sienne (§ 275 IV et § 326 I BGB). De plus, il peut résoudre le contrat (§ 326 V BGB) afin de récupérer le cas échéant la prestation qu´il a déjà livrée.
C - La mauvaise exécution du contrat
Au centre du nouveau § 280 BGB, le législateur a codifié l´institution jurisprudentielle de la « Pflichtverletzung » (inobservation d´une obligation).
Il ne fait plus de distinction entre les différentes sortes d´obligations :
l´inobservation d´une obligation, que celle-ci soit principale ou complémentaire, conduira au paiement de dommages et intérêts, à moins que le débiteur prouve qu´il n´en est pas responsable (§ 280 I 2 BGB).
Le § 280 I BGB règle les conditions générales à remplir pour une demande en dommages-intérêts quand il y a un « Begleitschaden », c´est-à-dire :
- quand l´inexécution d´une obligation complémentaire a provoqué un dommage sur un autre droit du créancier (son droit de propriété par ex.)
- quand la mauvaise exécution de l´obligation cause un dommage matériel
Pour les autres formes de dommages-intérêts, d´autres conditions, en plus de celles de § 280 I BGB, sont requises :
- § 280 II BGB : la réparation du dommage résultant de la livraison hors délai exige en plus les conditions du § 286 BGB
- § 280 III BGB : les dommages-intérêts compensatoires pour non-exécution sont accordés quand les conditions des §§ 281-283 BGB sont remplies.
D - Autre apport de la jurisprudence
Enfin, le droit prétorien est codifié : la disparition du fondement contractuel est désormais réglée au § 313 BGB et l´institution culpa in contrahendo – non-respect de la loyauté au cours des négociations contractuelles- l´est au § 311 II et III BGB
III - Droit de la vente
A – Pouvoirs du consommateur
Jusqu'alors, le droit général des troubles d´exécution ne valait qu'en cas de vice de droit (Rechtsmangel) alors que des règles autonomes (§§ 459ff., §§ 633ff. BGB) intervenaient en cas de vice de la chose (Sachmangel).
Désormais, les vices de droit et vices de la chose, comme les choses de genre et les corps certains, sont traités de la même façon.
Dans tous les cas, il s´agit d´une inobservation de l´obligation (« Pflichtverletzung »), et c'est le droit général des troubles d´exécution qui s´applique.
Ainsi, depuis la réforme, l´acheteur peut exiger soit la réparation de la chose viciée qui a été livrée (Nachbesserung), soit une nouvelle livraison de la chose (Nachlieferung).
Mais le vendeur peut refuser de réparer ou de livrer si le coût est beaucoup trop élevé (§ 439 III BGG).
À l´expiration du délai ou en cas de refus du vendeur, l´acheteur peut :
- résoudre le contrat (§ 437 Nr 2, § 323),
- ou réduire le prix de vente (§ 437 Nr2 BGB),
- et/ou exiger des dommages-intérêts (§ 437 Nr3, § 281 BGB), quand il y a faute du vendeur, ou quand le vendeur avait accordé une garantie (§§ 280, 281, 276 BGB).
B – Protection du consommateur
En matière de meubles, le délai de prescription est passé de 6 mois à 2 ans avec la réforme. Il commence au jour de la remise de la chose et ne peut être raccourci, sauf cas particuliers (quand l´acheteur est lui-même un professionnel ou que la chose est usagée par exemple).
De plus, la charge de la preuve pèse sur le vendeur pendant les 6 premiers mois en cas de vice : il est présumé responsable. Le vendeur peut cependant se retourner contre son livreur quand le vice existait déjà auparavant (§ 478 BGB)
IV - Droit de la prescription
Le délai de prescription est désormais en règle générale de 3 ans et non plus de 30 ans.
Il commence à la fin de l´année où la prétention est devenue exigible, à condition que le créancier ait connaissance de la prétention et de la personne du débiteur, ou qu´il devrait tout du moins en avoir connaissance (§ 199 BGB).
En revanche, un délai court même quand le débiteur n´en a pas connaissance.
Le délai est cependant plus ou moins long selon les exceptions :
- 2 ans en cas de recours pour vice en droit de la vente et droit des contrats d´entreprise
- 5 ou 10 ans en cas de recours en matière immobilière
- 30 ans
pour les droits à restitution exercé par le propriétaire ou en vertu d´un droit réel
pour les prétentions successorales ou concernant le droit de la famille
pour les prétentions ayant force de chose jugée.
À l´expiration du délai, le créancier ne perd pas son droit mais en revanche, le débiteur peut refuser de fournir la prestation (§ 214 BGB).
V - Le droit des contrats d´entreprise
La différence entre les contrats d´entreprises (ayant pour objet la fabrication, la transformation ou l´entretien d´une chose) et les contrats de vente s´efface en grande partie, le droit de la vente s´appliquant désormais aux choses meubles fongibles (§ 651 BGB).
En matière de prescription seulement, on différencie :
- les produits matériels (constructions, réparations, modifications d´une chose : prescription de 2 ans) - des produits immatériels (ex : expertise : prescription de 3 ans).
VI - Intégration dans le BGB des lois pour la protection du consommateur
Les lois suivantes sont désormais intégrées au BGB :
- loi relative à la résolution des contrats de démarchage (§§ 312, 312a)
- loi relative au crédit à la consommation (§§ 488ff.)
- loi relative aux conditions générales du contrat (§§ 305-310)
- loi relative au temps partiel et au droit d´habitation (§§ 481-487)
- loi relative à la vente par correspondance (§§ 312b-§ 312d)
et quelques autres encore.
B.Doubliez
Licenciée en droit
(vom 28.07.2004)