Le droit d'auteur allemand et la copie privée en Allemagne. Copieur privé, privé de copie?
11 juin 2005
Le droit d'auteur allemand et la copie privée en Allemagne. Copieur privé, privé de copie? Version internet de l'intervention de Me Bayer aux rencontres internationales de l'informatique et du droit d'auteur du 8/9 juin 2005
Copie privée, privée de copie?
Présentation de la solution allemande.
La réponse est simple.
Actuellement, le consommateur peut continuer à copier des oeuvres même dans le secteur numérique. Bien que le droit civil l'interdise pour des oeuvres munies d'un système de protection contre la production d'une copie, le détournement d'un tel système de protection ne constitue pas un délit sanctionné pénalement. De plus, la possibilité ouverte à l'auteur ou aux autres titulaires de droits de faire valoir des dommages-intérêts contre celui qui viole le droit d'auteur ne suffit pas à elle seule pour arrêter cette forme de „piratage“. Il y a donc un décalage entre la règlementation civile et la pratique.
La réponse à la question sera présentée en 4 parties:
A. Le principe: (la protection du droit de l'auteur)
B. Les limites (au droit de l'auteur/le droit à la copie privée)
C. Les limites aux limites (mesures techniques de protection, disparition de la copie privée?)
D. Règlementation inefficace contre le contournement de techniques de protection, survie de la
copie privée
A. Le Principe: La protection du droit de l'auteur (Articles §§ 1, 15, 16 UrhG)
Le droit d'auteur allemand est surtout réglé dans la loi sur le droit d'auteur appelé Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte dans la version adoptée le 13 septembre 2003, abbrévié: Urheberrechtsgesetz.
L' Article § 1 de la loi dispose que les auteurs d'oeuvres littéraires, d'oeuvres d'art et d'oeuvres scientifiques sont protégés. Le principe est donc la protection de l'auteur.
Les articles §§ 15 et 16 Urheberrechtsgesetz (UrhG) prévoient de plus que l'auteur dispose du droit de l'exploitation et du droit de reproduire des copies de son oeuvre à titre exclusif. L'article § 16 décrit ce droit de reproduction comme étant le droit de produire des copies, quelque soit le nombre et le mode de production et que ce soit à titre passager ou à titre permanent.
B. Les limites aux droits de l'auteur: (article § 44ss UrhG)
Les limites aux droits de l'auteur sont décrites aux articles §§ 44a et suivants du Urhberrechtsgesetz:
a. Des admissions diverses
Suivant le texte de la directive, la loi mentionne diverses admissions générales, dont par exemple
- la copie accessoire et passagère au but de transmission et d'utilisation legitime (§ 44a UrhG),
- la copie ayant le but de permettre l'accès de personnes handicapées à l'oeuvre sans but lucratif (§ 46 UrhG),
- la copie individuelle destinée à assurer le fonctionnement de la justice et du service publique (§ 45 UrhG)
- la copie pour l'utilisation dans les églises et pour l'éducation (§ 46 UrhG), et
- la copie faite spécialement pour l'utilisation à la radio ou la télévision scolaire (§ 47 UrhG).
En plus de ces admissions générales, il y a une admission pour la copie privée.
b. L'admission de la copie privée (§53 UrhG)
L'article de la loi qui nous intéresse particulièrement est l'article § 53.
D'après le texte de cet article, des copies individuelles faites par des personnes privées destinées à l'utilisation privée [sur toute sorte de support] au but non lucratif et non-professionnel sont admises à la condition que la copie ne soit pas elle-même tirée d'une reproduction manifestement illégale de l'oeuvre. (Le nombre des copies individuelles permises a été limité à 7 par la jurisprudence). Le consommateur dispose même du droit de demander à un tiers de reproduire l'oeuvre en tant que copie, si la copie est réalisée à titre non-lucratif ou s'il s'agit de simples copies sur papier.
Le droit de l'auteur concernant la reproduction de son oeuvre n'est donc pas du tout un droit exclusif face au consommateur qui veut faire des copies privées de l'oeuvre légalement aquise. Cette limitation se fonde sur la liberté publique. Le droit à l'information se trouve à l'article 6 de la loi fondamentale (Grundgesetz).
Cette législation a été remise en question par la disparition des modes analogues de reproduction et l'apparition de la copie numérique. L'industrie de la musique a plaidé pour une limitation au droit à la copie privée.
La réforme du droit de l'auteur a introduit des nouvelles limites au droit à la copie privée en transposant les normes du traité de l'organisation mondiale de la proprieté intellectuelle reprises par la directive européenne dans le droit interne dans un „premier panier“ législatif. (Un 2ème panier est en préparation. On en reviendra quand on présentera le projet de loi en cours.)
C. Les limites aux limites du droit de l'auteur: L'apparition de mesures techniques destinées à la protection contre les copies individuelles et multiples, - disparition du droit à l'information?
D'après la solution actuelle il est interdit - même à des personnes privées - de contourner des mesures techniques effectives de protection de l'oeuvre sans le consentement du titulaire de droit (Article § 95a Urheberrechtsgesetz). Le droit du particulier qui limite les droits d'auteur se trouve alors lui-même limité face aux mesures techniques de protection.
Il faut préciser que le terme „effectives“ ne demande pas une protection absolue au sens que la copie serait admise chaque fois que quelq'un réussit à contourner la technique. Même le fait de copier l'oeuvre avec son système de protection est considéré comme acte illégal bien que le texte ne le sanctionne pas.
Néanmoins, il est important de préciser que le fait de tirer une copie en contournant le système technique de protection est seulement considéré illégal par la loi si l'utilisateur sait que l'oeuvre est protégée par cette technique ou s'il est censé le savoir (article § 95 I 2 Urheberrechtsgesetz).
L'industrie de musique allemande utilise depuis plusieurs années de telles techniques de protection sur les disques compact et les DVD, que l'on peut donc copier par voie analogue mais pas par voie numérique.
L' Article § 95 d de la même loi dispose que les oeuvres munies d'une technique de protection doivent être également munies d'un avertissement concernant la technique utilisée. Dans ce cas il est alors quasiment impossible de produire une copie interdite sans en avoir la connaissance.
Comme la mesure de protection ne concerne que la transmission numérique il faut admettre que la copie privée n'est pas du tout en danger. Le droit à l'information n'est pas mis en danger puisqu'il continue d'exister de par l'application de méthodes analogues de reproduction aux mêmes conditions qu'avant l'introduction des disques laser.
Mais pour répondre à la question principale, il n'est pas suffisant de se limiter aux dispositions énoncées ci-dessus.
Pour changer une situation la simple adoption d'une nouvelle règlementation ne suffit pas. Il faut un contrôle et une solution pour le cas où la règle n'est pas respectée. C'est au niveau des sanctions que la nouvelle règlementation reste derrière les désirs de l'industrie de la musique au profit du consommateur et le droit à la copie privée.
D. Une règlementation inefficace contre le contournement de mesures techniques de protection:
La survie de la copie privée digitale au niveau pratique.
a. absence de sanction pénale
aa. la sanction pénale préexistante à la directive: l'article § 106 UrhG
L'article § 106 Urheberrechtsgesetz, qui existait déjà avant la directive européenne, dispose que celui qui produit des copies, qui les distribue ou qui reproduit des oeuvres en public sans l'autorisation du titulaire de droit ou en dehors des cas admis par la loi est puni d' emprisonnement d'une durée maximale de 3 années ou par une amende. Les mêmes sanctions s'appliquent à la tentative de ce délit.
On pourrait alors supposer que la loi est assez claire à ce sujet. L'article § 106 Urheberrechtsgesetz ne distingue pas entre copie privée et copie commerciale. On a vu plus haut que l'article § 53 UrhG admet la copie privée sous certaines conditions - l'Article 106 ne s'applique donc pas dans de tels cas. Par contre, l'Article 106 s'applique si l'auteur de l'infraction obtient sa copie en contournant un système de protection.
Mais le législateur allemand a introduit un nouvel article § 108b qui concerne les mesures techniques de protection.
bb. la nouvelle sanction de l'article 108b UrhG
Cet article dispose que celui qui contourne intentionellement une telle mesure de protection sans y être autorisé est puni si ce délit n'est pas commis exclusivement à titre de l'utilisation privée de l'auteur de l'infraction ou des proches de l'auteur. C'est à dire, la commission du délit n'est pas santionnée si le consommateur ne produit qu'une copie privée.
cc. nécessité d'un „Strafantrag“
De plus l'article § 109 du Urheberrechtsgesetz prévoit la nécessité d'un „Strafantrag“. Un Strafantrag est bien plus qu'une simple plainte qui suffit à declencher l'appareil de répression de l'Etat dès la connaissance de faits qui semblent constituer un délit. Le Strafantrag est prévu pour des délits pour lesquels une poursuite n'est en principe pas dans l'intérêt public. L'Etat n'intervient donc pas d'office si la commission d'un tel délit vient à sa connaissance. Pour que l'Etat agisse il faut non seulement informer le ministère public ou la police mais il faut de plus demander en même temps la poursuite de l'auteur de l'infraction (comparable à la constitution en partie civile en droit français.)
Il s'agit d'une décision politique. Il est bien connu que les copies illégales sont devenues une normalité et le legislateur craint de criminaliser la jeunesse.
Le législateur suppose que la sanction pénale dans ce domaine n'empêcherait pas assez de jeunes de produire leurs copies et on a considéré qu'il était éxagéré d'envoyer des investigateurs dans les habitations de personnes privées pour vérifier si elles ont fait des copies d'un disque compact d'une valeur de € 16,- en contournant le système de protection. De plus, le legislateur a craint que la police ne ferait plus que poursuivre des copieurs privés. Pour venir à une fin: Après les expériences au IIIème Reich l'Allemagne est très préoccupée par la protection des libertés publiques et le domicile privé est considéré inviolable. Pour réaliser une perquisition chez une personne privée il faut l'autorisation d'un juge. Face à un principe et droit essentiels dans la société allemande actuelle, la violation soupçonnée du droit de l'auteur par le fait de produire une copie privée ne saurait justifier une mesure aussi grave que la fouille au domicile de personnes privées, mesure donc inadéquate et disproportionnée au but recherché.
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Ce qui reste, ce sont les sanctions civiles. Ces sanctions sont, pourtant, inefficaces:
b. sanctions civiles inefficaces
Il y a différentes sanctions civiles énoncées dans la loi:
les dommâges-intérêts (§ 97), le droit de la personne lesée à la destruction et mise à disposition des copies (§98), et de la destruction et mise à disposition des machines de production de telles copies (§ 99)
C'est l'article § 97 Urheberrechtsgesetz qui prévoit des dommâges-intérêts pour l'auteur ou titulaire de droit envers l'auteur de l'infraction. Mais la réalité est que le dommage dans le secteur privé est très limité et la preuve est difficile à apporter. Cet article est donc également inapte à protéger l'auteur face au consommateur.
Les autres sanctions ne suffisent pas non plus à eviter la violation des droits de l'auteur face au consommateur.
Conclusion et projet de loi appelée „panier 2“:
Conclusion:
La réalité est que la copie privée, même dans le secteur numérique, a survécu et certains estiment que l'Allemagne n'a pas suffisament transposé la directive européenne dans la législation allemande. L'article 4 de la directive mentionne comme but recherché l'amélioration de la sécurité juridique en assurant en même temps un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle. Concernant la copie privée, ce but ne semble pas être atteint par la règlementation allemande. L'article 39 de la même directive dispose que les exceptions ou limitations (aux mesures techniques de protection) ne doivent faire obstacle ni à l'utilisation de mesures techniques ni à la répression de tout acte de contournement lorsqu'il s'agit d'appliquer l'exception ou la limitation pour copie privée. On vient de constater que la réalité allemande est bien différente parce que le contournement n'est pas sanctionné pénalement.
Il est possible de reproduire des oeuvres par des copies digitales sans crainte de sanction grave et la copie analogue de l'oeuvre enregistrée digitalement est toujours possible. A l'heure actuelle l'avenir de la copie privée semble donc assuré.
Le nouveau projet de loi dite „panier 2“ apporte peu de changements concernant la copie privée
Un problème subsiste actuellement concernant les oeuvres copiées légalement d'une source légale mise à la disposition de tout le monde illégalement sur l'internet parce que la loi allemande actuelle ne contient aucune disposition à ce sujet. L'article § 53 ne concerne que la copie de sources produites manifestement illégalement. La mise à la disposition sur internet n'est pas considéré comme une production. Ne sont donc pas concernés par cet article les sytèmes file-sharing dans les bourses peer to peer. Le projet de loi „panier 2“ complète l'article § 53 par l'interdiction de copies produites de sources légales mais mises à la disposition du public (alors dans l'internet) illégalement si l'utilisateur a connaissance ou est censé connaîre l'illégalité.
Nils H. Bayer,
Rechtsanwalt et Avocat à la Cour (Berlin/Paris)
Marseille le 08 juin 2005
(vom 11 juin 2005)